«Notre cerveau possède, dès la naissance, un talent que les meilleurs logiciels d'intelligence artificielle ne parviennent pas encore à imiter : la faculté d'apprendre. Même le cerveau d'un bébé apprend déjà plus vite et plus profondément que la plus puissante des machines actuelles. Et cette remarquable capacité d'apprentissage, l'humanité a découvert qu'elle pouvait encore l'augmenter grâce à une institution : l'école. Au cours des trente dernières années, d'importants progrès ont été réalisés dans la compréhension des principes fondamentaux de la plasticité cérébrale et de l'apprentissage. Il est temps que chaque enfant, chaque adulte prenne la pleine mesure du potentiel énorme de son propre cerveau - et aussi, bien sûr, de ses limites. Le fonctionnement de la mémoire, le rôle de l'attention, l'importance du sommeil sont autant de découvertes riches de conséquences pour chacun d'entre nous. Des idées très simples sur le jeu, le plaisir, la curiosité, la socialisation, la concentration ou le sommeil peuvent augmenter encore ce qui est déjà le plus grand talent de notre cerveau : apprendre !»
Réveiller son cerveau
Saint Augustin pensait, comme Aristote, que le goût d’apprendre est naturel.
Les bébés, ces chercheurs en herbe, semblent le confirmer. Plus étonnant : ni la soif ni les capacités d’apprendre ne semblent s’éteindre avec l’âge.
« Tous les hommes ont un désir naturel de savoir » : Aristote le dit dès la première phrase de sa Métaphysique. Pour le philosophe, le désir d’apprendre est naturel et commence par le simple fait de tourner les yeux pour s’intéresser à ce qui se passe. J’entends un cri, je vois un attroupement, je veux savoir. Telle est pour Aristote, la base de la curiosité naturelle.
Quelques siècles plus tard, saint Augustin fera aussi du désir de savoir (libido sciendi) l’une des pulsions fondamentales des humains aux côtés du désir sensuel (libido sentiendi) et du désir de dominer (libido dominandi).
Qui dit libido pense à Sigmund Freud. Le fondateur de la psychanalyse nommait « épistémophilie » ce désir de connaître. Pour lui, ce serait l’expression sublimée de la pulsion sexuelle. Épistémophilie ? Cela sonne comme une perversion sexuelle, une manie de tout savoir et de vouloir fouiller partout…
Les bébés chercheurs
Qu’en est-il donc du désir de savoir ? Il ne suffit pas de répéter les grands auteurs pour valider une théorie. Comment savoir s’ils ont raison : existe-t-il vraiment une soif d’apprendre nichée dans les tréfonds du psychisme humain ? Il est possible désormais de donner quelques bases empiriques à cette hypothèse.
Commençonspar les animaux. On sait depuis longtemps que beaucoup d’animaux sont capables d’apprendre, Aristote le savait déjà. Au début du XXe siècle, la psychologie de l’apprentissage s’est même construite par des expériences avec les animaux : le chien de Pavlov apprend par conditionnement, les pigeons de Skinner par conditionnement opérant (c’est-à-dire en étant actif), pour la Gestaltpsychologie, les rats procèdent par « insight » (trouver une solution à un problème de façon soudaine) ; quand aux chats de Thorndike, autre grand nom de la psychologie de l’apprentissage, ils semblent apprendre par essais-erreurs… On sait aujourd’hui que même les poulpes sont capables d’apprendre : non seulement par expérience, mais aussi en observant leurs congénères (apprentissage dit « vicariant »).
Beaucoup d’animaux apprennent donc. Mais est-ce par nécessité ou part goût ? Autrement dit, manifestent-ils de la curiosité ? Des expériences semblent l’attester. Placez une caméra dans un parc naturel où circule un tigre : intrigué par l’objet qu’il ne connaît pas, vous le verrez venir observer, flairer, toucher. L’expérience marche aussi avec les renards, les éléphants, les ours, et même les dauphins. Certains oiseaux aussi font preuve de curiosité. L’ornithologue belge Bart Kempenaers pense même avoir isolé ses bases biologiques chez la mésange : une variation du taux de dopamine D4 rend l’animal plus ou moins curieux.
Le désir d’apprendre s’observe aussi chez le petit humain. Longtemps, le bébé fut considéré comme un être passif à qui il fallait inculquer les savoirs les plus élémentaires. Or, depuis quelques décennies déjà, les psychologues du développement ont montré que l’enfant est un agent actif qui explore son environnement physique, social, culturel pour y capter seul une grande partie de ce qu’il sait. En matière de langage par exemple, il suffit de plonger un bébé dans un bain linguistique pour qu’il apprenne seul à identifier les sons, les mots puis les règles de grammaire. Inutile de lui enseigner explicitement à parler. Ce désir spontané d’apprendre touche de nombreux domaines. Pour la spécialiste Alison Gopnik, le bébé est un « chercheur en herbe ». Il a le goût d’apprendre dès le plus jeune âge : en jouant, en observant les autres. Les expériences sur les bébés ont même été effectuées grâce au « paradigme de l’habituation ». Le nourrisson s’intéresse à tout ce qui l’entoure ; il explore du regard et des mains tout ce qui est nouveau. Mais il se lasse vite d’une chose nouvelle pour passer à une autre. L’habitude l’ennuie. Son défaut de concentration peut être vu comme une qualité : l’intérêt pour la nouveauté témoigne d’une tendance à apprendre quasi permanente.